Village et terrier
La commune du Bourg-Dun est située au nord du département de la Seine-Maritime, sur la vallée du Dun. Elle fut une paroisse très riche durant l'ancien régime et son paysage en a été marqué. Plusieurs historiens, et les sondages archéologiques réalisés lors des travaux de restaurations de l'église Notre-Dame laissent supposer l'existence d'une abbaye pré-normande dont le bénéfice aurait été attribué à Saint-Quentin-en-Vermandois. Mais cela reste un vrai thème de recherche à développer.
Le commerce a été une véritable source de profit pour le village durant l'ancien régime. Une histoire sommaire de la commune est disponible sur ce site.
En 1741, l'abbaye de Saint-Ouen de Rouen qui possède la paroisse décide d'établir un inventaire de ses biens et fait tracer un plan terrier auquel sera associé un registre décrivant l'ensemble des terres représentées, comme cela est dans ces documents qui précèdent les cadastres du XIX° siècle.
Ce sont quelques éléments de ce document exceptionnel que je souhaite simplement vous présenter comme une source extraordinaire de l'histoire du paysage normand.
Et ce terrier présente deux critères qui le rende encore plus exceptionnel. Il n'y a pas un, mais deux registres et l'ensemble des minutes (autant que l'on puisse en juger) a été conservé et permet de comprendre comment le terrier et son plan ont été construits. De plus, à l'intérieur du registre, un plan complémentaire reprend les éléments du grand plan à une échelle plus manipulable.
Ce phénomène semble assez unique dans la région. Mais si vous connaissez des villages où les documents d'élaboration du plan terrier sont conservés, je suis très intéressé.
En étudiant le plan et les pièces écrites, il est possible de retracer les récentes modifications parcellaires (du début du XVIII° siècle) et d'évoquer l'état du paysage antérieur.
L'observation du système parcellaire est un premier niveau de lecture. Il témoigne d'un paysage très ouvert sur le plateau, un paysage d'openfiel qui contraste avec la vallée où le cloisonnement de l'espace est de rigueur. Le système de haie, comme les clos-masures du plateau, y a crée un milieu végétal fermé. Les haies constituent autant de corridors écologiques qui favorisent la présence de nombreuses espèces végétales et animales des prairies, des lisières et de bord de rivière car le Dun traverse le village du Sud au Nord. La présence (et donc l'ancienneté du bâti actuel) est également visible sur le plan. Les maison et les emplacements des rues ont peu changées jusqu'à aujourd'hui. Les occupants de 1741 sont connus, mais aussi ceux qui les ont précédés grâce aux pièces d'archives.
En effet, pour ceux qui ne sont pas habitués à ce type de sources documentaires, le livre terrier comporte des informations extrêmement utiles.
Par exemple, la parcelle qui porte le numéro 666 sur le plan (et il n'y a rien de démoniaque là dedans) est un parcelle de culture appartenant aux héritiers de Jacques Ridel. Les généalogistes pourront retrouver la trace de ce Ridel et de sa descendance... mais les Ridel sont nombreux dans cette partie de la région .
Cette parcelle 666 est bordée au Nord par les terres de Monsieur d'Herbouville dont le très beau château est situé , et toujours visible, dans le village voisin de Saint-Pierre-le-Vieux. Elle est bordé au Sud selon une limite à la forme découpée par des terres qui appartiennent à Messieurs d'Avremesnil et Le Vasseux. Le chemin de Quiberville passe le long de la parcelle du côté Est et la parcelle à l'Ouest est au trésor de la paroisse du Bourg-Dun, c'est-à-dire que les revenus en reviennent à "fabrique de la paroisse" (la communauté paroissiale) et non pas directement au clergé. Cette parcelle 666 a une surface (une contenance) de 2 acres, 1 vergée et 20 perches ; mesure qu'il conviendrait de convertir en valeurs actuelles soit un peu moins de 8000 m2.
Mais l'intérêt des archives permet d'aller plus loin.
Et le dossier 14 H 1501 nous apprend sur un plan de préparation annoté par le recenseur que cette parcelle a une histoire et il nous fournit les noms des précédents propriétaires et des modifications de surfaces subies par la parcelle.
Sur les deux dernières photographies, on peut voir sur la première, un exemple de planche préparatoire à l'établissement du plan terrier avec un début de mise en couleur et d'indication de signes de représentation de la végétation. C'est sans doute, un document déjà relativement élaboré. Cela signifie que l'établissement d'un plan terrier était un travail de longue durée avec des vérifications sur le terrain et des corrections sur les plans et dans le registre préparatoire. Bien souvent, seul l'état final nous parvient.
La seconde image montre une pièce d'inventaire (numérotée par mes soins : ADSM14H1501p28n) avec le report à l'intérieur du dessin des parcelles de la succession de noms des différents propriétaires et des dates auxquelles ils ont avoué leur "propriété". On remarque que les noms des voiries y sont reportés, parfois avec des corrections ou des notes qui auront disparues sur le plan terrier définitif. Les documents sont malheureusement en mauvais état, déchirés, tâchés, et les nombreuses annotations ne facilitent pas la lecture.
A noter enfin que la présence de ces pièces a échapper aux archivistes jusqu'à présent, et c'est bien dommage. Allez... au travail.
Je me contente de cela pour ce post car l'étude de ces documents méritera une étude complète, argumentée et détaillée dans une revue spécialisée ; de quoi m'occuper une année entière... C'est une autre histoire.
Mais tout cela vous donnera une idée de ce que le paysage peut révéler comme surprise lorsque l'on cherche à comprendre son origine.
Le parcellaire, quelle Histouère !
Sources : Archives Départementales de la Seine-Maritime - 12 Fi 80, terriers n° 133 et 134 et 14 H 1501. Tous ces documents peuvent être mis en lien sous réserve de citer l'origine. Merci
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