mercredi 9 janvier 2008

Des agriculteurs et du paysage

On répète souvent, à qui veut bien l'entendre, que le paysage a été construit par l'action séculaire des paysans. Au long des siècles, ils ont marqué de leur travail les structures de l'espace rural, la morphologie, les végétations anciennes, les voies, les dimensions des parcelles, ... sur lequel nous portons bien souvent un jugement. Mais qu'en est-il aujourd'hui ? Que reste-t-il des organisations traditionnelles du travail des agriculteurs dont une partie importante de l'économie ancestrale reposait sur une relation continue et complexe avec l'environnement, tirant partie de ce que la nature mettait à leur disposition.

Voici ce qu'en dit Pierre Rabhi dans "Graines de Possibles" (p. 203-205) dont il partage la signature avec Nicolas Hulot. Il parle, au départ, des populations africaines mais ... suivez son regard !

"Cette organisation séculaire a fonctionné en marge de l'économie planétaire, jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que cette masse paysanne représentait un potentiel productif, et qu'il fallait en tirer parti.
La meilleure façon de le faire était de lui faire produire des denrées exportables : coton, cacao, café, canne à sucre ... L'argent a commencé à s'infiltrer. De même que les méthodes de culture modernes av ec la fameuse trilogie NPK (nitrate, phosphore, potassium) ... on a destructuré des systèmes sociaux et culturels... en commençant par dévaloriser la place et l'image du paysan. Cette transformation s'est d'ailleurs effectuée partout, en Europe, comme en Afrique.
Le paysan est devenu le dernier des derniers.
Dans la croyance populaire, on en sait toujours assez pour être paysan ! Le pauvre type qui ne peut devenir ni curé, ni gendarme, ni postier, on le garde à la ferme.
(triste réalité des années des débuts de la mécanisation de nos campagnes - voir les écrits de Mazoyer et Roudart à ce sujet. NDLR) Sans oublier qu'à la guerre, les paysans sont toujours en première ligne. Comme en 14-18, un véritable carnage pour cette population.

On a tout fait pour déprécier leur expérience et leur tradition, pourtant affinées au cours des siècles et transmises de génération en génération. On n'a eu de cesse de leur renvoyer d'eux-mêmes une image ingrate, d'où leur désir de se détacher de cette représentation, à tout prix. Leur culture est devenue une non-culture. Je m'en suis rendu compte en visitant des intérieurs paysans dans les années 60 : gazinière, frigo et table en Formica, autant d'attributs par lesquels le paysan prouvait qu'il n'était pas un attardé !
Et pendant ce temps, la table en chêne, d'une valeur inestimable, était en train de pourrir dehors ou dans les granges. ces objets, qui sont des chefs-d'œuvre de l'habileté humaine et des symboles d'une culture, sont complètement rejetés pour le plus grand bonheur des antiquaires qui raflent tout et les revendent trente fois plus cher ! C'est symbolique de la négation de la culture paysanne."


Terrifiante description de ce que fut la négation, la fin du monde paysan occidental, dans ses traditions et ses cultures, y compris dans leur part paysagère.

Aujourd'hui, qui construit le paysage rural ? Les agriculteurs ou les banques, chambres d'agriculture et marchands de semences ?

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour swing, j'ai beaucoup d'admiration pour pierre rabhi et la façon dont il applique concrètement ce qu'il écrit dans ses livres sur la décroissance soutenable. Je découvre ton blog avec plaisir car je m'intéresse aux paysages depuis toujours. Les paysages font partie de notre vie à un point que nous ignorons parfois totalement ! Même en ville, le paysage compte beaucoup.