mercredi 12 mars 2008

L'arbre qui cachera la forêt

Bernard Roman-Amat est directeur délégué à Agro-Paris-Tech à Nancy. Il avait été mandaté en février 2007 par Nelly Olin et Dominique Busserau, remplacés depuis par Jean-Louis Borloo et Michel Barnier, pour rédiger un rapport sur l'adaptation de la forêt française en regard des modifications climatiques.

Ce rapport est maintenant disponible sur le site du MEDAD (ici). La question posée est simple : Le changement climatique étant admis comme un phénomène réel, quelles actions doit envisager l'état pour faciliter l'adaptation de la forêt française ?
On pourrait imaginer que cette question reflète l'intérêt du gouvernement sur la qualité environnementale et la pérennité des grands massifs du territoire. Mais n'oublions pas que la forêt est également un formidable domaine économique avec la sylviculture, toute la filière bois, sans évoquer le chauffage pour lequel la demande (urbaine ou péri-urbaine) est très forte.


Mais la modification climatique va également totalement changer notre paysage forestier régional. On parle fréquemment du retrait du hêtre qui va peu à peu reculer vers le Nord et l'Est. Cette première conséquence a d'ailleurs déjà été anticipée par l'ONF. Bernard Roman-Amat a déjà ouvert la piste de réflexion en 2000 avec la parution de "Sylviculture et aménagement dans les forêts publiques pour le XXIe siècle : quelques pistes de réflexion" où il préconise d'anticiper. C'est dans la même ligne que devra s'incrire Philippe Leroy, le président du comité "forêt" du Grenelle de l'Environnement.

Aujourd'hui, nous voyons une forêt d'Eawy, vaste hêtraie, structurée par de grandes allées. Nous parcourons la forêt de Lyons associant chênes et hêtres majestueux ... mais cela est presque déjà une image du passé.

Les cartes établies par L. Badeau et JL Dupouey montrent de grandes transformations selon les deux scénarios A2 et B2 (modèle français d'évolution climatique en fonction de l'émission de GES). A2 est plus pessimiste que B2. La végétation est classée selon des dominantes caractérisées par les associations de quelques espèces arborées ou arbustives.

Aujourd'hui la Seine-Maritime est dite à dominante forestière de Groupe 6 type Atlantique nord (avec châtaignier). Le département de l'Eure est dans le même cas. Le Groupe 4 à dominante de hêtre n'est vraiment présente naturellement que dans le Pays de Bray. N'oublions pas que nos belles hêtraies actuellement ont été plantées il y a plus d'un siècle. Aujourd'hui le hêtre a du mal à se reproduire naturellement chez nous.
Dans le cas du scénario plutôt minimal B2, en 2100, le même Groupe 6 est cerné par le Groupe 7 à pin maritime dominant. Dans le cas du scénarion A2, plus pessimiste, presque tout la surface de l'Eure passe en dominante du Groupe 7, et le Groupe 6 est encore moins présent. Ce Groupe 7 est l'aire biogéographique dite "Atlantique sud".

Plus au sud, le Groupe 8 à dominante de chêne vert, de type méditerranéen passera en région Centre, et il ne serait pas improbable de voir cette espèce de chêne apparaitre naturellement ponctuellement dans la région de Chartres ou plus au Nord encore.
La vitesse de propagation du Groupe méditerranéen vers le Nord est estimée à 20 km tous les 10 ans pour B2 et 32 km/10 ans pour le cas A2, c'est-à-dire que le chêne vert "franchira" en masse la Loire avant la fin du siècle présent.

La paysage forestier est composite. la notion d'aire biogéographique ne représente qu'incomplètement la réalité attendue. Les espèces fonctionnent pas associations, par sympathie ou empathie. Les phytosociologues nous montrent le fonctionnement de ces ensembles. Les 7 groupes chorologiques (de répartition géographique des essences) sont composés chacun de plusieurs végétaux dominants qu'il convient de mettre en association avec d'autres. En voici quelques détails.
Le groupe 6 regroupe entre autre le châtaignier européen, la bourdaine, le néflier et le cèdre de Chypre. Le hêtre y est présent mais minoritaire, de même que les érables sycomores et planes.
Avec le groupe 7, nous devrions donc voir peu à peu arriver dans notre région de nouvelles espèces inconnues de nos paysages normands. Certes de façon encore marginale mais ils seront réellement présents. Les pins maritimes de plus en plus visibles, non seulement sur le littoral cauchois, près des sites balnéaires mais aussi en Pays d'Ouche donneront une nouvelle verticalité à notre côte. Le chêne tauzin pourrait bien s'implanter massivement dans les massifs forestiers du sud de l'Eure où les sols sont acides. La bruyère à balai remplacerai nos espèces locales actuelles dans les landes et les coteaux des vallées de l'Eure, de l'Avre et de l'Iton. Ponctuellement, vers la fin du siècle, nos enfants et petits-enfants verront sans doute des chêne verts, quelques cyprès toujours-vert, des pins parasol et pourquoi pas de la viorne-tin et des chênes liège (espèces dominantes et caractéristiques du groupe 8). Nous serions alors bien en peine de reconnaitre nos forêts normandes actuelles. Seules les chênes pédonculés seront à même de se tenir encore à leur place.

C'est un leurre de croire que nous pourrons empêcher, ou même retarder ce phénomène, car même le scénario le plus optimiste, celui qui envisage une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre en 2050, laisse voir de profondes modifications. Mais il faut l'accompagner, en permettant à la forêt d'être un lieu de vie, de loisirs, d'économie et un poumon pour notre planète.

Les 32 propositions de B. Roman-Amat sont regroupés en 5 grands thèmes : Recherche et développement, risques, production, biodiversité, gouvernance publique.
Parmi les idées, un bon nombre (plus de la moitié) repose sur des réorientations des politiques de structures para-publiques (ONF, GIP ECOFOR, IFN, IDF, les Etablissement Publics Scientifiques et Techniques, réseau Natura 2000 ...) dont le contrôle par l'Etat diminue d'années en années par externalisation des missions et réduction des crédits. Les autres propositions relèvent de la bonne volonté ou de la compétence de groupes que l'Etat ne maitrise pas ou peu, voire des collectivités (Agence Nationale de la Recherche, zones vertes des PPR, certification des exploitations forestières, bases de données régionales ...). Quelques propositions simples (23, 27) sortent du lot mais pourraient se révéler contreproductive si elle sont lues à travers le filtre des souhaits de réduction du périmètre d'action de l'Etat (la fameuse RGPP).

Il y a encore loin de l'idée à la réalisation.
Des infos complémentaires : sur actu-environnement.com, sur notre-planete.info, sur forets-et-climat.fr, et sur le site du MEDAD.

Clichés (de haut en bas) : Bernard Roman-Amat, forêt de Lyons-la-Forêt, l'allée des limousins dans la forêt d'Eawy, un chêne Tauzin, une viorne-tin, une bourdaine.

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